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L'ombre de la corne
25 février 2008

Une fleur grasse repose sur l'ancien chemin qui

  Une fleur grasse repose sur l'ancien chemin qui grimpe vers la cité, une étoile rose au parfum acidulé. Quelques merdes humaines aussi jonchent les marches. La pellicule photographique se déchire dans le boîtier. Quelle sorte de présage est-ce là ?

  Une musique citadine dégueule sur la terrasse d'un snack anachronique, le voyageur fuit au plus vite la foule qui se restaure. Machupiqcho lui semble douce, irréelle, il n'ose pas encore entrer. Il rend donc visite aux vestiges d'un pont, frêle squelette de bois qui longe une paroi tendue vers l'abîme. Le lien est rompu, le col au loin inaccessible.

  Le voyageur franchit le seuil de la belle Porte. La petite fleur rose recueillie s'envole au cœur de la cité. Il veut explorer le moindre recoin : le centre cérémoniel où broutent quelques lamas ; le temple du Soleil, dans les quartiers de l'Inka, où une pierre en forme de Croix du Sud s'illumine au solstice d'été ; la place sacrée autour du rocher des sacrifices ; Intihuatana, taillée pour observer les astres.

  A la proue de ce navire minéral est un pic, Huaynapiqcho. Un escalier vertical s'accroche à son flanc jusqu'à ce qu'une galerie traverse ses chairs pour aboutir au sommet. La ville en bas, petit joyau enchâssé dans l’infinie matière brute des montagnes, la ville exalte à merveille le paradoxe des grandeurs humaines. Il mange là-haut une carotte, un bout de pain, puis il prend le chemin du temple de la Lune qui sommeille tout en bas, près des racines de Huayna.

  Une fleur jaune se pose sur sa main. Caverne dans la jungle sous un rocher gigantesque, constellation de niches truffées d'images pieuses, le temple de la Lune regarde vers le nord. La fleur s'envole. Le bâton de marche du voyageur tombe près d’une pierre vibrante de chaleur qu’il ramasse. Plus bas, sur un autre rocher géant, le squelette d'une maison surplombe une autre grotte. A l'intérieur, sept niches font offrande de pierres lisses, de sucre et de maïs à l'astre silencieux. Dans un fouillis d'herbes, de branches et de cailloux, un peu à l'écart, une plaque en bois commémore le souvenir d'un jeune homme décédé en ce lieu prophétique. Sa mère lui a donné le jour, la lune lui a offert la nuit.

  Il retourne vers la cité. Au quartier résidentiel succède celui des artisans, rustique et imprévisible, qui abrite le temple du Condor. Les ailes, deux rochers inclinés sur un passage souterrain, se déploient autour d'une pierre triangulaire aplatie au sol. Le bec pointe vers l'est. Aucun angle dans le corps du Condor n'indique le sud. Cependant, un escalier part du temple dans cette exacte direction pour mener au rocher funéraire, en-dehors et au-dessus de la cité. Le condor, messager de l'autre monde, était un symbole de paix. Une heure durant, le voyageur essaie d'imaginer la cérémonie. Cet escalier septentrional ponctué de quinze bains rituels passe aussi par le temple du Soleil et la belle Porte. Quinze bains pour les quinze parties du corps humain ? Quinze constellations dans le ciel inka ? Après neuf heures d'émerveillement, il dit adieu aux maîtres de séant, les lézards.

  Les propriétaires humains de la Vieille Montagne lui interdisent de rejoindre Cusco par le chemin de l'Inka : tous les touristes vont en sens contraire. De plus, il marche seul, c'est dangereux, les porteurs sont mal payés, il y a des voleurs. Au col d'Intipunku, la Porte du Soleil, les grilles seront fermées quand il arrivera, personne n'a le droit d'y dormir. Quelqu'un dit qu'il pourra tenter sa chance demain. Interdire les montagnes, un comble !

  Le voyageur s'installe sur un tertre herbeux d'où il peut voir la cité sans être vu. Il fait nuit, le monde est parti. Ses narines affolées le mènent aux cuisines de l'hôtel luxueux où s'affaire un pâtissier. Mais il n'ose cogner à la fenêtre pour quémander quelques restes et s'en retourne déçu.

Les éclairs sont proches, la limpide noirceur du soir métamorphose Machupiqcho en montagne.

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