Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L'ombre de la corne
27 février 2008

Au matin, il retrouve la vachère et lui fait

Au matin, il retrouve la vachère et lui fait cadeau des sachets de mazamora qu'il trimballe depuis deux semaines. Peut-être cette poudre de maïs aux parfums chimiques a-t-elle meilleur goût une fois cuite, comme le préconise la recette. Elle part avec ses silences. Le peuple des Andes a la faculté de s'évanouir dans l'espace sitôt qu'une pellicule photographique cherche à capturer son apparence ; la silhouette de la jeune femme n’est déjà plus qu’une pensée.

Une paysanne du hameau vient à sa rencontre. Curieuse autant que causante, elle s'étonne de ce qu'il se régale de carottes crues. Le garçonnet dans ses jupes le regarde timidement. Un étranger a promis de lui envoyer un portrait voilà deux mois, elle n'a toujours rien reçu. Depuis, elle refuse de se laisser photographier sans recevoir d'argent en échange. Le chemineux se contente de déposer l’image dans les couloirs de son esprit.

Il grimpe. Des gens du hameau confirment qu'il se dirige vers les ruines de Chinchero. Le chemin se dilapide puis réapparaît sur un flanc de montagne qui permet de quitter le massif. Depuis le col, son regard plonge dans la vallée et remonte vers le col suivant. S'il était oiseau, il n'aurait qu'à planer droit devant lui. Il tente de maintenir le cap à travers les multiples pistes tracées par les animaux et se trouve bientôt perché sur un éperon sauvage qui caresse une lointaine rivière du bout des pieds. En longeant la crête, il a espoir de découvrir un semblant de chemin. Nada ! Des chèvres s'aventurent peut-être parfois sur ces pentes caillouteuses, sûrement pas des humains. Il prend le risque de descendre, droit devant, ses talons s'enfoncent dans la caillasse.

Près de la rivière, tout en bas, une bergère lui tend les bras puis disparaît vivement dans les fourrés. Le chemineux est un bouc emplumé. Deux chiens ne tardent pas à le harceler d'aboiements tandis qu'il approche du pré où broutent les moutons. La bergère qui faisait de grands gestes le rejoint en causant. Elle l'invite à s'asseoir sur l'herbe, enlève la manta de dessus son dos et lui offre de généreuses poignées de maïs bouilli. Trois heures et demie qu'il marche, il est déjà rompu de fatigue. S'il pouvait manger autre chose que des céréales du matin au soir… La vieille femme parle beaucoup et, sans se soucier de savoir s'il comprend le quechua, gronde gentiment ce fils qui ne se rend pas compte du danger. Tête de mule qu'il est à vouloir parcourir les montagnes pour rejoindre Cusco, pourquoi ne pas descendre à Calca et emprunter la voie de bitume ? Elle le réconforte aussi, avec douceur, fière et amusée par son intrépidité. Enfin, elle se lève, pose la manta sur ses épaules et rassemble le troupeau. Le chemineux est las. Le long de la rivière, cependant, seul derrière les bêtes, il est heureux de se sentir berger à son tour. La mamá s'affaire autour de la file moutonneuse, lance des cailloux, des bouses sèches ou quelques " keush keush ! " aux galeuses qui traînent la patte pour grignoter encore.

Une mère et ses deux enfants traversent un gué. A leur avis, il n'est pas de sentier entre les ruines de Chinchero et Cusco. La mère surtout semble tenir à ce qu’il rejoigne la route pour voyager sûrement. Il s'entête, la route des montagnes, c’est tout, la route des montagnes. Le garçon, qui n'avait pas dit un mot jusqu'ici, lâche presque par inadvertance que le chemin qu'il cherche est justement celui qui attire son regard depuis un moment. Le chemineux s'y engage aussitôt, pestant contre l'instinct maternel qui lui a fait perdre temps et patience en palabres oiseuses. Il  a failli rejoindre cette fichue route goudronnée tant il est harassé. La mère navrée le regarde partir.

De prés en terrasses, de terrasses en chemins buissonneux, il finit par atteindre un col. La crête ronde au-dessus est pierreuse et parsemée de petits cactus à fleurs grasses. Le vent souffle, les nuages alentour sont chargés d'eau et d'électricité. Aucun sentier ne part d'ici. Sur le massif d'en face, il en est un qui semble aller dans la bonne direction. Bientôt, des dizaines de scarabées marrons au vrombissement maladroit volent dans le ciel orageux. Le chemineux a installé son camp sur un passage d'éclairs. Peu importe, qu'ils irriguent donc les vaisseaux de son corps ! Ses paupières se ferment, il est fatigué.

Publicité
Publicité
Commentaires
L'ombre de la corne
Publicité
Publicité