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L'ombre de la corne
11 janvier 2008

Une Coccinelle jaune m'emmène à la gare routière.

Une Coccinelle jaune m'emmène à la gare routière. Malheureusement, le bus pour Ayacucho est déjà parti, le prochain embarque dans sept heures. Je pars en balade sur l'avenue. Carcasses de voitures, moteurs au sol, cambouis sur les visages, papas, maïs, fruits et sandwichs s’étalent dans le quartier des mécanos.

Au milieu de la place, depuis le sommet d'une immense pyramide, Manco Capac pointe un doigt accusateur vers le nord. Il tient une lance à la main. Deux chats, deux lamas et un condor veillent à ses côtés. Une femme sur un banc se pomponne. Voilà son homme justement, journal à la main, ils discutent un brin. Elle m'apostrophe soudain et me propose d'aller tirer un coup. Je décline l'invitation. Un sourire juvénile se dessine en passant sur le visage du cireur de chaussures. A présent, elle offre ses services au tout-venant. Pensant avoir affaire à un de ces gringos ahuris, deux jeunes hommes me proposent de l'herbe. Dans ce quartier genre Pigalle, les femmes, la drogue et la mécanique font comme toujours bon ménage.

Sur les marches du terminal de bus, des bananes et des biscuits dans un sac à mes pieds, je sirote un mate de coca. Mes espadrilles semblaient descendre de la Lyre pour les Américains, les Limeños, eux, sont intrigués par mes chaussures vertes à lacets rouges, des godillots de montagne. Un minibus à touristes débarque, une vingtaine de valises sur le toit. Le bagagiste flanque une bourrade au cireur pour qu'il l'aide à descendre les malles. Une gringa, petite musaraigne, se faufile dix secondes hors du groupe pour prendre une photo et rentrer bien vite au bercail ; peu après, une autre tente la même aventure. Elles ne verront pas les sourires amusés de ces hommes qui blaguent sur le trottoir en attendant je ne sais quoi.

Je quitte Lima la grise, Lima l'enfumée. Le Pacifique, décevante eau de gouache marron, s'éclaircit après Cañete tandis que commencent à verdir les grandes collines de sable. Le brouillard qui enveloppe la capitale ne se vautre pas jusqu'ici. Le soleil enfin visible se couche dans une houle de draps rouges. A mesure que l’autocar grimpe vers des étoiles que je ne connais pas, laissant la Panamericana longer la côte au loin, s'installent la nuit et le froid. J'ai passé la ligne imaginaire de l'équateur sans y faire attention. Je vérifierai que l'eau s'écoule bien dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. A quoi ressemble la Croix du Sud ?

Accélérations brutales, virages serrés, les montagnes défilent à vive allure. Une petite chante Cristo es amor d’une voix éraillée, parfois très aiguë. Je me souviens du sourire ironique de ces douze lettres peintes sur la boîte d'un trop jeune cireur de chaussures dans les rues de Lima.

L'abord d'Ayacucho me rappelle ces vers griffonnés à l'encre violette dans un cahier déniché à la brocante :

La ville s'étale

à perdre haleine

ainsi que de vieux squales

assaillent la baleine

Trois heures du matin, tous les hôtels semblent fermés. Des meutes de chiens errants et faméliques déboulent dans les rues poussiéreuses d’Ayacucho, j’ai peur du loup. Grosse boule de feuilles de coca dans la joue, un balayeur m'indique le chemin de la Plaza Mayor.

Au mur de ma chambre, une jeune femme en robe bleue embrasse son galant qui porte cape et chapeau à plume.

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