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L'ombre de la corne
25 janvier 2008

Angel vient cogner à ma porte au petit matin. Il

Angel vient cogner à ma porte au petit matin. Il est ivre et me propose d'aller nous régaler d'une soupe à la viande. Le temps de m'habiller, voilà le drôle d'ange envolé.

En partant au travail, Elmer me cite la célèbre phrase d'un philosophe péruvien : Peru es un pobre sentado sobre un banco de oro, le Pérou est un pauvre assis sur un banc en or, sur une banque d’or.

Dehors, un aveugle et son petit demandent l'aumône accroupis contre un mur.

Depuis un banc près de la rivière, je vois passer des écoliers qui brandissent des pancartes en forme de papillon, de cœur ou de poisson. Ils manifestent pour une école gratuite, une meilleure alimentation, pour plus de droits et de respect.

Près du marché quotidien, les élucubrations des saltimbanques amusent le vieil homme que j'ai rencontré hier à la boulangerie. Je pensais assister à un spectacle folklorique, mais le bonhomme m'apprend qu'ils font de la publicité pour je ne sais quelle potion magique. D'un œil malicieux, il récite la maxime de sa ville :  Si te quiero Andahuaylas, porque no te queda ? , si tu aimes Andahuaylas, pourquoi ne restes-tu pas ?

Dans le tumulte du marché couvert, la marchande de jus de fruits constate que beaucoup de femmes vivent seules avec de nombreux enfants, seules et abandonnées à leur misère. Comme elles sont plus nombreuses que les hommes, une blague populaire dit fort élégamment que pour un homme il y a trois femmes et un homosexuel. Elles sont familièrement appelées costillas, allusion à la côte d'Adam mais aussi à celle de la vache dans l'assiette. L'homme c'est le taureau, le macho. Il semble pourtant que ce drôle de mâle se suicide souvent pour cause d'amour. Le romantisme serait-il l'origine paradoxale d'un tel déséquilibre démographique ?

Tranquillement perché sur un mont au-dessus de la ville, je respire et me délasse, des rivières coulent en bas. Une douzaine de collégiens qui font l'école buissonnière arrivent subitement et m'apprennent qu'à trois jours de marche d'Abancay, ma prochaine destination, se trouvent de belles ruines peu fréquentées, les ruines de Choquequirao. Puis, les jeunes papillons messagers de cette nouvelle enchanteresse reprennent leurs cabrioles et s'égaient en un bouquet rieur et virevoltant.

Un orage progresse. Je me dirige tout de même vers la montagne endormie sous un édredon de lourds nuages. Un cours d'eau dense et rapide longe le chemin à flanc. Des bûcherons s'en retournent au bercail.

Au sortir de la voûte boisée, une jeune femme me fait signe. Ce soir, Erlinda fête la construction de sa nouvelle maison. Elle m'offre donc de la chicha, cet alcool de maïs au goût acide. Felix, son mari, vient me saluer à son tour et je finis par accepter leur invitation à entrer dans la fameuse demeure. La plupart des convives sont déjà saouls. Les bouteilles de chicha et de liqueur passent de main en main, de bouche en bouche. Nous dansons beaucoup. L'enfant enroulé dans un tissu coloré sur le dos d'Erlinda branle au gré des trépidations de sa mère tandis que le poste répète inlassablement les deux mêmes chansons. La terre s'amasse sous les semelles ou les pieds nus. Marie, paisible sur un banc, donne le sein à son petit. L'orage gronde au-dehors, des éclairs s'élancent tout près de la maison, des torrents tombent du ciel. Le vieux Victor, après m'avoir offert la main de sa gamine, révèle que ce n'est pas lui qui a vu le condor mais que c'est le condor qui l'a vu. Le magnétophone soudain se tait, nous nous retrouvons à l'extérieur. Tout le monde rentre au proche hameau de San Jeronimo ; tout le monde sauf moi.

Il est huit heures du matin, les joies de la fête et les lueurs de la petite lune m'accompagnent jusqu'en ville. Des femmes vendent des frites et du poulet sur quatre étals alignés dans la rue. Elles donnent de bon cœur à l'enfant qui quémande en marmonnant. Tout à coup, la nuit me chuchote qu'en fait je n'ai pas quitté son royaume, qu'elle est loin d'être blanche. Je vérifie, il est huit heures du soir ! Dès lors, tout en préservant le souffle de cet incompréhensible, j’essaie de m’extirper d’un espace et d’un temps de conscience distordue, de ce corps qui me fourmille, de cet étrange présent.

Je vais chanter sur la Plaza Mayor en compagnie d'Elmer et d'un copain à lui, romantique perceur de tympans qui admet difficilement que je voyage dans son pays alors que lui ne connaît même pas Lima.

(…) Un condor perché sur un taureau, puis un puma dans les massifs de fleurs rêveuses s'endorment sous le drap de leur gangue de pierre.

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Commentaires
M
ce n'est pas le remps qui est distordu mais la chicha qui joue avec..
M
ce n'est pas le remps qui est distordu mais la chicha qui joue avec..
L'ombre de la corne
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