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L'ombre de la corne
20 janvier 2008

Le chant matinal du magnétophone accompagne notre

Le chant matinal du magnétophone accompagne notre toilette. Un peu d'eau sur le visage avant d'aller au boulot.

Sous l'eucalyptus, le râle amoureux d'une femme se mêle aux pleurs des moutons. Cependant, un petit homme bêche et courbe l'échine.

Mon cœur ne s'emballe plus, mon cerveau a cessé de se ratatiner, j'ai un corps de haute altitude maintenant. Il y a cinq ans, j'ai parcouru la chaîne montagneuse de Puw Sivuru avec Saafkyu. Nous suivions le soleil. C'est là que j'ai appris à mesurer mon souffle et mes pas, à poser mes chaussures au meilleur endroit, à profiter pleinement de chaque gorgée d'eau, de chaque bouchée de nourriture. Deux mois plus tard, mon squelette était montagne. Ma chair, terre des alpages. Ma bouche, une source. Ma respiration, vide entre les gouttes de pluie. Mes yeux, lune et soleil.

Je vais à Pillucho, sur les traces du peuple Chanka. Le chemin se brouille près d'une crevasse au fond de laquelle coule une rivière. Les lacets qui s'agrippent aux flancs abrupts d'en face sont visibles, mais je ne trouve pas le passage pour descendre. Je reviens sur mes pas. Personnage de théâtre d'ombres, une Indienne passe furtivement entre deux arbustes. Puis, assise sur un rocher, elle me guide jusqu'à elle, de l'autre côté de la crevasse.

En chemin nous croisons trois enfants, leurs petits rires nous désignent comme mari et femme, elle qui souffle en tenant son ventre rond et moi qui marche tranquillement devant. De temps à autre, je fait halte à l'ombre pour lui proposer de l'eau. Son petit naîtra le vingt-et-un mars, comme moi. Désormais, à chacun de mes anniversaires fleurira une pensée pour cet enfant des montagnes et sa douce mère qui me fît traverser les eaux. Pour l'heure, elle me demande de l'argent et s'éloigne en chantonnant. Je n'avais qu'une banane à lui offrir.

Mes pas chatouillent la crête pierreuse et ondulante, l'espace immense me dilue. L'escarpé du chemin blanc se hisse enfin sur la terre rouge du haut-plateau où vécurent des Chancas, à trois mille neuf cent mètres d'altitude. Des murets de pierre serpentent alentour. Plus loin, la hutte posée sur un bout de terre labourée me désigne un rocher sur lequel je puis reprendre des forces. Le temps de chercher les ruines est passé. Peut-être sont-elles au sommet de ce poing minéral au loin, ce géant recouvert d'arbres, véritable île de jungle flottant sur le cercle d'une mer de cailloux ? Décidément, les pierres antiques sont timides.

Bêche à l'épaule, un père et son fils clopinent vers Vilcashuaman. Le premier n'a plus que ses gencives. Il devine que j’aime la coca et m'apprend que l'on peut lui adjoindre de la pâte de quinoa. Les dents qu'il reste au second sont noires et vertes, ses yeux brillants. Une grosse boule de feuilles magiques déforme sa joue.

Au détour du chemin, emmitouflé dans son poncho de laine, un rêveur silencieux inspire les lueurs du couchant. Son regard est fiévreux, le vent souffle fort.

Au village, des enfants déambulent dans les ruelles obscures en chantant une comptine. Je rends visite à mes amis travailleurs. Nous jouons aux cartes avant d'aller au restaurant el Sol où nous nous rassasions de soupe, de riz, de poisson, de patates et de maïs bouillis. Enfin, rebelote pour quelques parties de poker péruvien jusqu'à ce que tous trois se mettent à roupiller dans le désert de leur chambre.

Sous l’auvent coloré de la femme au doux sourire, je bois la chaleur d'une aguita. Chez les Huaris, la Croix du Sud était symbolisée par les mains enlacées d'une femme et d'un homme. Alors que des mains invisibles me portent vers la pupille de l'œil de la nuit, j'embrasse les astres qui dessinent nos liens.

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Commentaires
M
je ne me souviens plus de ce que c'est l'aguita
M
je ne me souviens plus de ce que c'est l'aguita
L'ombre de la corne
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